Depuis 2014, Jean-Luc Desplat participe aux travaux de régionalisation du scénario Afterres 2050 en région Centre Val de Loire. Il est aussi membre de la collégiale d’Alter’énergies et éleveur. Au moment où les projets de fermes-usines menacent de se multiplier et de figurer comme la seule perspective, nous lui avons demandé ce que prévoit le scénario Afterres 2050 pour l’élevage en 2050.
Qu’est-ce que le scénario Afterres 2050 ?
Jean-Luc Desplat – Le scénario Afterres 2050 est un moyen de réfléchir au futur paysage agricole, en partant de nos besoins physiologiques, et non de la demande du marché. L’agriculture doit répondre à des besoins alimentaires, mais aussi à des besoins en énergie et en matériaux. La diffusion du scénario permettra une meilleure prise de conscience de l’impact de notre façon de consommer sur le changement climatique.
C’est passionnant : on fait évoluer le présent sur 35 ans à partir de nos besoins, en recherchant principalement la souveraineté alimentaire et la minimisation du réchauffement climatique. Mais le scénario prévoit aussi que nous assumions notre responsabilité de pays exportateur vis-à-vis des zones du monde qui en auront besoin, l’Afrique du Nord par exemple.
Nous savons que l’élevage est une source d’émissions de gaz à effet de serre. Que prévoit le scénario pour l’élevage ?
Nos produits alimentaires actuels sont traités comme des produits strictement commerciaux. Ils ne répondent pas aux besoins physiologiques. Partant du constat qu’on peut subvenir à nos besoins de façon plus diversifiée, le scénario propose un avenir dans lequel on consomme moins de laitages, moins de viande, moins de produits industriels sophistiqués, pour adopter un régime plus méditerranéen.
Cela permettrait de transformer l’élevage en élevage herbager, de faire baisser le cheptel français et de supprimer les importations de soja et de maïs. Une vache, c’est un ruminant. Elle a besoin de matières grossières. On passerait de vaches à 12 000 litres de lait/an, nourries à base d’ensilage et de compléments alimentaires aujourd’hui, à des vaches à 5 000 litres, disséminées dans le paysages, avec des races mixtes, qui fourniraient à la fois de la viande et du lait.
Est-ce que le scénario préconise une évolution de la taille des élevages ?
Ce n’est pas le propos du scénario. Il ne fait aucune préconisation sur l’industrialisation de l’élevage ou la préservation d’une agriculture paysanne. De façon générale, le scénario tient peu compte des contraintes sociales ou du bien-être animal. Le scénario fixe des objectifs, pas les moyens d’y parvenir. Leur démarche est très intéressante : Solagro ne cherche pas à nous expliquer pourquoi on est dans cette impasse, pourquoi on suit un modèle tiré par le marché, qui amène à l’endettement, à la dépendance, alors même que nous sommes de mieux en mieux avertis. Le scénario nous explique seulement où aller. À mes yeux, c’est approche est importante : en restant sur les objectifs, on évite les dérives du militantisme et on discute de ce qui est important.
L’un des postulats de départ du scénario, c’est le surenchérissement de l’énergie. Même s’il ne se vérifie pas aujourd’hui, il est prévisible que le prix du baril de brut va s’envoler d’ici 2050. Alors, apporter l’alimentation à des animaux enfermés dans des étables ne sera plus rentable. C’est André Pochon qui le dit : « La vache a une barre de coupe dans la gueule et un épandeur aux fesses. Elle est déjà équipée. » Et il n’est pas sûr que le mouton de Nouvelle-Zélande restera concurrentiel en 2050. C’est notre économie actuelle qui marche sur la tête. Si on réfléchit à plus long terme que les deux ans qui viennent, la relocalisation de l’économie est incontournable.
Au final, on ne pourra pas dissocier ces objectifs et la pratique quotidienne. On est capable aujourd’hui de prendre l’avion pour trouver un environnement sain à trois heures de chez nous. Mais pas de le maintenir chez nous. La perspective ouverte par le scénario, c’est une prise de conscience de notre place d’humain sur la planète et dans la nature.
Tu participes aux travaux de régionalisation du scénario pour la région Centre. De quoi s’agit-t-il ?
À la demande de la région Centre Val de Loire, Solagro, ISL et Alter’énergies ont constitué un groupe de travail d’une trentaine de personnes qui se rencontrent régulièrement pendant environ deux ans. Ce sont des agriculteurs, des personnes qui connaissent les questions agricoles, des animateurs de structures agricoles de la région. Le Conseil régional est aussi présent dans les discussions.
Les ingénieurs de Solagro qui ont conçu le scénario ont un niveau d’étude et de recherche qui n’a rien à voir avec le commun des mortels. L’un des enjeux des travaux de régionalisation, c’est de chercher comment le scénario pourrait être rendu compréhensible par tous. Nos réunions sont très chargées en information : un interventant de Solagro, efficace et clair, répond à toutes nos demandes d’explication sur le scénario.
La deuxième question sur laquelle nous nous penchons, c’est comment appliquer le scénario à la région Centre, comment on va réaliser cette transition, sur quels leviers on peut s’appuyer.
C’était le choix des ingénieurs de Solagro : la formulation du scénario national n’est qu’une première marche. Mais ce n’est pas Afterres qui va nous dire comment faire. Le scénario s’abstrait des questions sociales, de toute l’histoire de notre société. Il est purement technique. Il ne dit pas si ce sont des ouvriers ou des paysans qui fourniront l’alimentation de demain. Ni si les poulets seront en batterie.
C’est à nous, participants à ces travaux de régionalisation, de donner un sens au scénario, en y incluant des valeurs qui pourraient être partagées et reconnues le moment venu.