Interview réalisée par Damien Guy, reporter occasionnel pour Alter’énergies pour la lettre d’info d’Alter’énergies d’avril 2012. Il interroge Yoann Brouard, chargé de mission écoconstruction d’Alter’énergies, entre 2011 et 2014.
Yoann, Alter’énergies a organisé, les 7/8/9 mars dernier une formation concernant la construction en paille, avec Philippe Liboureau du Réseau Français de la Construction en paille. Suite à cela, peux-tu nous préciser la ou les principales techniques de construction vues en formation ?
Yoann Brouard - En région Centre, l’une des techniques les plus pratiquées est la technique du Greb du fait de la présence sur la région des personnes qui ont importé cette technique du Canada et continuent de l’adapter localement via l’association Approche Paille. Cette technique est très adaptée à l’auto-construction et lors de ces 3 jours, nous avons visité la maison de François Bruyant adhérent d’Alter’énergies réalisée de cette façon. Dans le cadre de ces visites, nous sommes allé à Civray voir la maison de Stéphanie et Eric Beaugendre réalisée selon la technique poteaux-poutre. Le formateur a également évoqué avec nous la technique de la cellule sous tension (CST) ainsi que la technique en paille porteuse, sachant qu’aucune de ces deux dernières ne sont validées par les règles professionnelles de la construction paille. Des mix entre les techniques sont souvent pratiqués, le plus important étant de respecter les étapes critiques de la construction, répertoriées dans les règles professionnelles.
Quelle est la durée de vie d’une maison en paille ?
La maison Feuillette construite en 1921 est la plus ancienne maison en paille d’Europe, elle est située à Montargis dans le Loiret. Une église en paille de presque 200 ans est toujours debout aux États-Unis. Si la construction de ce genre de maison respecte les règles de l’art énoncées dans les règles professionnelles de la construction paille et qu’un entretien régulier est effectué, il n’y a pas de raisons qu’une maison construite de nos jours ne dure pas aussi longtemps que la maison Feuillette.
Les bottes de paille sont-elles toutes de la même dimension ? Y a-t-il une norme de construction ?
Les bottes de paille ne sont pas nécessairement toutes de la même dimension, cela va dépendre du réglage de la botteleuse. Il est intéressant de connaître la taille des bottes à l’avance, cela peut permettre de construire l’ossature de la maison en fonction pour limiter les découpes et l’ajustement des bottes. Les habitations en paille résistent-elles bien à un incendie ? De nombreux tests aux feu ont été effectués sur des maisons ou des murs en paille que ce soit en Allemagne ou en France par le CSTB (Conseil Scientifique et Technique du Bâtiment). Il en ressort que les maisons en paille respectent les normes en vigueur voire même surpassent les modes constructifs conventionnels lorsqu’elles sont enduites, tout en émettant moins de fumées nocives. Pour info, elles sont classées B S1 D0 ce qui est équivalent au classement M1, qui signifie non inflammable.
Ne sont elles pas des nids potentiels pour les rongeurs, les acariens ?
Dans une maison, les ballots de paille sont hors d’accès d’éventuels rongeurs, de plus, contrairement à une grange, les rongeurs n’auront pas de grain à proximité qui pourrait les inciter à nicher. Pour ce qui concerne les acariens, les bottes de paille ne sont pas en contact direct avec l’air intérieur de la maison du fait de la présence d’un parement ou d’un enduit. De plus, les éventuels acariens présents dans les ballots ne trouveraient pas de nourriture pour subsister. Ceux-ci se nourrissent de déchets organiques comme les peaux mortes mais pas de la paille. Quel est, selon toi, le principal avantage expliquant l’engouement pour les maisons pailles : le coût ? la rapidité de construction ? l’isolation ? la protection de l’environnement par l’utilisation de matériau naturel peu transformé ? … Chacun voit son intérêt lors de la construction d’une maison en paille sachant que le délai de construction de ce genre de maison peut être supérieur à celui d’une maison conventionnelle. L’utilisation de la paille va permettre de faire baisser le coût des murs tout en atteignant de très bonne performance d’isolation, mais la main d’œuvre requise étant très importante, si le chantier n’est pas fait en auto-construction, le coût global ne sera pas inférieur à une construction équivalente en parpaing. En revanche, avec l’augmentation au niveau de la réglementation des seuils de performances thermiques, ce type maison trouve facilement preneur à la revente. Les performances thermiques et acoustiques ainsi que les aspects sanitaires (absence d’émission de composés organo-volatils) liés à ce matériau sont les principales motivations des porteurs de projet. De plus, la paille est souvent alliée à la terre qui apporte un confort hygrométrique et de l’inertie. L’aspect environnemental est également une motivation importante pour le choix de ce matériau disponible localement et non transformé, a fortiori si la paille est produite par l’agriculteur qui va construire. Pour garder une cohérence environnementale sur l’ensemble du projet, les constructeurs associent souvent sur ce genre de projet une phytoépuration, des enduits terre, des énergies renouvelables, un poêle de masse,… Pour les personnes qui voudraient en savoir plus, Alter’énergies organise des formation sur ces différentes techniques au cours de cette année : phytoépuration 19-20 mai, poêle de masse 15 septembre, enduits terre et finition 20-21 octobre.
D’où vient la paille ? Y a-t-il une filière commerciale qu’y s’est mise en place ? N’y a-t-il pas risque de concurrence avec l’agriculture céréalière classique, avec la production de fourrage pour les bétails en cas de sécheresse ?
La paille provient en général d’un agriculteur situé dans un rayon de 30km autour de la future maison. Il n’existe pas à l’heure actuelle de filière d’approvisionnement organisée en Région Centre. Une étude sur l’approvisionnement en paille pour la construction financée par la Région a été menée l’année dernière par Clémence Pabion une stagiaire d’Alter’énergies. Celle-ci a été encadrée par Marie Daniel et les résultats de cette étude sont consultables sur le site de l’association. Il ressort de cette étude que la Région Centre, première productrice de céréales de France, peut largement fournir la demande actuelle de construction paille sur la région du fait également qu’il n’y a pas de concurrence pour le fourrage, l’élevage étant moins pratiqué que dans d’autres régions. Toutefois, l’étude a montré qu’il faut rester vigilant car le débouché principal de la paille est de retourner au sol comme amendement organique. Si la demande en construction paille venait à croître en grande proportion, la structuration de la filière d’approvisionnement devrait alors être envisagée.
La production de paille nécessite-t-elle un entretien particulier : fertilisants, pesticides ? Peut-on vraiment parler de produit naturel ? non transformé ?
L’idéal pour une personne qui souhaite construire sa maison en paille est de s’approvisionner en paille bio. Seulement les problématiques de concurrence d’usage (fourrage, retour au sol) sont encore plus prégnantes en culture biologique, c’est donc rarement possible dans les faits. Le futur constructeur d’une maison en paille peut toutefois demander à l’agriculteur qui lui fournira sa paille de ne pas traiter la parcelle concernée cette année là, ce qui implique de s’organiser bien en amont. Il n’y a pas à ma connaissance d’étude sur l’impact sanitaire sur la qualité de l’air des maisons construites avec de la paille traitée. Reste-t-il des particules une fois la maison achevée, peuvent-elles passer à travers l’enduit ? Ce sont des questions qui méritent d’être posées. Le bottelage de la paille au champs va avoir un impact carbone assez faible. Là où la question mérite d’être posée c’est lorsque la paille est conditionnée en round-baller puis déroulée pour être rebottelée dans des ateliers comme c’est parfois envisagé. On multiplie alors les étapes tout en dégradant au final la qualité de la botte obtenue. Quel est l’avenir des constructions paille selon toi ? Chaque région a son potentiel propre en terme d’éco-construction de part la tradition ou la facilité d’approvisionnement. La région Centre a clairement tous les atouts pour devenir une région pilote pour la construction paille du fait de la présence en abondance de cette ressource et de structures comme l’association Approche Paille qui sont très actives. De même, les collectivités commencent à vouloir faire émerger des projets publics ce qui aura probablement un rôle moteur sur la demande et la structuration de la filière. Il ne faut pas s’attendre toutefois à voir la construction paille devenir la norme. Les défis à relever pour cette filière seront plutôt de s’adapter à la demande de construction de logements sociaux et surtout de rénovation du bâti existant. En effet, la logique à laquelle nous sommes confronté est plutôt de lutter contre la déperdition des terres agricoles liée à la construction…. fut-elle en paille.